KLIMKO Hubert- Berceuse pour un pendu (p. 121-122)
... Mon professeur m’a remis l’archet, elle m’a
demandé de la faire passer sur les cordes à vide, d’exercer mon poignet afin de
le rendre élastique. Mais au lieu de me transformer en caoutchouc, je suis
devenu plus raide encore. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, car je
voulais vraiment y arriver, c’était mon instrument de rêve. Je revenais déprimé
des leçons. L’épreuve m’était pénible. Je n’étais pas un Tsigane dans les mains
duquel l’instrument se met à jouer tout seul. Je n’avais pas en moi cette légèreté
de voleur, j’étais incapable de subtiliser des notes, de contourner les règles.
Il faut que je me révolte, pensai-je, il faut que j’extirpe de mes tripes mes
racines roumaines, nous avons surement eu un Tsigane dans la famille. Si je ne
le fais pas, ces cours d’éducation musicale et physique vont me mener au
naufrage. Je veux jouer, mais en sa présence j’en suis incapable, elle me
corrige comme un enfant, elle me réprimande, je suis revenu à l’école, je ne
veux plus être à l’école, au secours !
Szymon a emprunté une méthode
d’apprentissage en anglais, avec des photos. Je m’y suis mis tout seul, à la
maison. Je faisais ce que je voulais, quand je voulais et comme je voulais. Je
mettais l’instrument à l’envers, je me couchais sur le canapé avec la caisse sur
le ventre. Je sentais qu’il m’appartenait. J’ai cessé de me raidir et d’avoir
des aigreurs d’estomac. Il était
réceptif, a commencé à parler, à émettre des sons. Vrais, pleins, doux. Isolés,
mais j’avais l’impression qu’un jour je réussirais à les réunir dans une œuvre...